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Une amitié distante pour soi-même
par Jean Calens

Un col de chemise bleue est le titre de fragments d’écriture qui sont au cœur de la pratique artistique de Gilles Sage. Dans ces courts paragraphes, reliés entre eux par un détectivisme intimiste à la fois inquiet et amusé, apparaît la délicate question de comment exercer sur soi-même une maîtrise bienveillante à l’égard des pulsions et affects. Face au public, Gilles Sage offre une forme dépouillée et singulière de lecture performée.

Comment tirer substance de faits et de situations minuscules mais encombrants ? L’écriture de Gilles Sage valorise non pas ce qui est censé être exceptionnel ou remarquable mais les mécanismes même qui agrègent les moments de la vie quotidienne. Ces instants, découpés par l’auteur dans les monotones échanges avec les contemporains, apparaissent aberrants et légèrement inquiétants à force d’être ordinaires. Le narrateur doit impérativement leur attribuer du sens. Sous peine d’être submergé par le doute et devenir un être à la raison ébranlée ! Gilles Sage invente une sorte d’art minimal existentiel, sans débordements ni fioritures. Avec méthode et rigueur, il tente de se prémunir des éventuels excès d’une subjectivité jugée capricieuse.

Mais la relation que l’on entretient avec soi-même reste néanmoins obscure ! Au fil des mini-récits qui s’enchainent, des détails surgissent, troublants, à force d’apparaitre banals. Ils constituent, semble-t-il, des repères dociles, prêts à décorer une interprétation. Mais non, ils résistent, faisant partie d’une énigme encore voilée, bornant simplement des constats.

Quel est cet œil intérieur qui nous auto-réifie en hachant menu nos intentions, faits et gestes ? Qui ou quoi incite le personnage d’Un col de chemise bleue à recouvrir d’une fade logique les échappées libidinales ? En écoutant Gilles Sage lire, debout, raide et sans expression particulière sur le visage, auréolé d’un simple halo de lumière projetée, nous comprenons qu’il est aussi question de notre condition de sujets sans qualités particulières. Il alerte, croyons-nous entendre.

Ça ne sert à rien mais ça serre...

Derrière les grilles d’emploi du temps concernant tous les aspects de nos vies, posées par une société obstinément en marche vers toujours plus de conformisme — et à laquelle nous adhérons parfois avec délice, suggère l’artiste, apparaît l’être fragile et désemparé qui doute. Qui doute même en apercevant l’idée de sa liberté.

Irrémédiablement cet être est ramené à sa condition d’individu quelconque. Le constat de ce vrai-faux journal intime, produit d’une intransigeante solitude, imagine-t-on, résonne familièrement aux oreilles de chacun. Là est l’efficacité émouvante de ces fragments : nous embarquer sur la frêle barque de cette solitude existentielle, typique de notre époque encadrée par les incontournables réseaux dits sociaux. Ce miroir qui nous est tendu capte l’image de nos propres vies, bordées par les codes, conventions, croyances tyranniques et rituels narcissiques divers.

La tonalité de ces fragments est celle d’un fatalisme léger avec une pointe subtile d’amertume. Mais n’oublions surtout pas que ces lectures performées sont drôles, cruellement drôles, surtout dans leurs phases amères !

Gilles Sage approche avec humour le pathétique de la vie quotidienne, ses malentendus et mini désastres. Un col de chemise bleue, véritable work in progress à la sobre esthétique, porte une vertigineuse question : serions-nous les producteurs de notre aliénation ?

Novembre 2017

A distant friendship for oneself
by Jean Calens
A blue shirt collar is the title of text fragments at the core of Gilles Sage’s artistic practice. Linked by both a worried and amused intimate investigation, in these short paragraphs appear the delicate question of how to apply a kindly self-control on one’s urges and affects.In front of the public, Gilles Sage gives a pared-down and singular form of performed reading.

How to draw the substance of minuscule facts and situations that are however cumbersome? Gilles Sage’s writing highlights less about what is exceptional or remarkable than the mechanics of everyday life. Sliced by the author into monotonous exchanges with his contemporaries, those instances appear absurd and lightly disturbing by dint of being so ordinary. The narrator has to find them a sense at risk of being overwhelmed by doubt and losing his mind. Gilles Sage invents a kind of minimal existential art without any excess or embellishment. Methodically and strictly, he tries to protect himself from a potential excessive subjectivity which is considered variable.

But the relationship with oneself remains nevertheless unaccountable! In the course of the tiny stories, details emerge, unsettling, to be so common. It seems they make a docile landmark ready to supply an interpretation. But they resist as a part of an unsolved enigma, simply marking observations out.

What is that inner eye that self-reify us by tearing our intentions, comings and goings to shreds? Who or what makes the character of the text coldly and logically analyzing libidinal moments? By listening to Gilles reading in a thrown light aureole, standing up, stiff and stone-faced, we understand it’s also about our condition of subject without any particular qualities. He alerts, we may hear.

It serves no purpose but it grips…

Behind the grid of the timetable of all the aspects of our lives, set by a more and more conformist society (in which we delightfully concur with, suggests the artist) appears the fragile, disconcerted and doubting human being. Even doubting about the idea of his own liberty.

Irreversibly, this being is led back to his ordinary personal condition. The assessment of this true-false private diary, produced by a supposed intransigent loneliness, sounds familiar to everybody. Here’s the moving efficacy of these fragments: it takes us on board of the fragile bark of this existential solitude, typical of our times overrun with network so-called social. This mirror we got shows us the image of our own lives, defined by codes, conventions, tyrannical beliefs and various narcissistic rituals.

The tone of these fragments is lightly fatalistic with a slight bitterness touch. But never forget the performed readings are funny, cruelly funny, especially in the resentful state!

Gilles Sage deals with humour the pathetic of the daily life, its misunderstandings and mini disasters. A blue shirt collar, authentic work in progress with its sober aesthetics asks a vertiginous question: are we the producers of our own alienation?

November 2017

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